(Couverture du numéro de juillet-août 2014. Le der des der…)
Le dernier numéro du Spectacle du Monde, juillet-août 2014, est désormais un exemplaire collector. Vous tous qui avez été abonné un moment à cette superbe revue, conservez-le ou achetez-le. Il n’y en aura plus. Spectacle du Monde vient de mettre la clef sous la porte. Non ! Spectacle du Monde vient d’être mis à mort !
La nouvelle ne figure pas encore sur le site du journal, ni sur celui du groupe Valmonde. Votre serviteur l’a appris de source interne et l’a gardé pour lui jusqu’à ce qu’il se sente délié de son obligation de discrétion, Challenge ayant vendu la mèche.
La revue fut fondée en avril 1962, alors que s’achevait la guerre d’Algérie, par Raymond Bourgine, journaliste et homme d’affaires de droite libérale non gaulliste et favorable au maintien de la présence française en Algérie. Cet ancrage atypique à la confluence de la droite patriote et du centre démocrate chrétien demeura la marque d’une revue qualifiée à tort de réactionnaire parce qu’elle se voulait celle de toutes les droites et parvint, jusqu’au bout, à l’être véritablement, ouvrant ses colonnes dans les années 1960 à des démocrates chrétiens, des gaullistes, des royalistes, des nationalistes, des anciens de Vichy ou de la collaboration intellectuelle parisienne, des libéraux, etc. Une seule chose comptait, la qualité ! Bourgine voulait faire de son journal l’encyclopédie du monde contemporain. Ce fut le cas. La revue touchait à tout.
Ouvrez un numéro des années 1960 à 1990 et vous trouverez à la fois une présentation esthétique proche de l’objet d’art, appuyée sur des photos en pleine page, toujours propres et nettes, un résumé de l’actualité nationale et internationale du mois sous forme quasiment de télex, et des dossiers de fonds, des articles de presque huit pages, fouillant un thème d’actualité du moment, en en montrant les dessous insoupçonnés. Les numéros de l’été 1962 font la part belle, par exemple, aux négociations OAS-FLN pour organiser le maintien des pieds noirs en Algérie. Négociations vouées à l’échec tant à cause de l’instransigeance FLN que de l’abandon gouvernemental. Dans la tourmente de l’été 1962 il fallait oser aller chercher l’information et l’écrire. C’est ce que fit Spectacle du Monde à l’époque. Cette même passion du dossier de fond brossant au grand public un tableau complet de situations complexes, Bourgine continua de l’exiger de ses journalistes pour tous les grands événements qui suivirent ; avec le concile Vatican II, les grèves de Mai 68, l’élection de Giscard d’Estaing en 1974, le millénaire capétien en 1987, etc.
Cette tradition demeura après la mort du fondateur en 1990. Les numéros récents traitent à fond les sujets extérieurs, comme la Bosnie, le réveil russe, la stratégie de l’OTAN, mais aussi intérieurs comme le nucléaire, les projets de réformes socialistes en 1997, ou enfin historiques et culturels, comme la légion, l’identité française, etc.
C’était la marque de fabrique de Spectacle ; toucher à tout, avec des pages arts, spectacles, cinéma, livres, affaires internationales, affaires intérieures, économie, histoire.
Le journal avait aussi fait le choix de s’appuyer sur des plumes majeures pour ses chroniques, avec Eric Zemmour, Patrice de Plunkett, Bertrand de Saint-Vincent, Hervé Gaymard, pour ne citer que les chroniqueurs des dernières années.
De grandes plumes des décennies passèrent contribuèrent, comme Gaxotte, Ariès, Vialatte, Saint-Pierre, pour ne citer que les littérateurs et essayistes.
Revue d’actualité et d’histoire, de réflexion, Spectacle a terminé en beauté par un numéro sur l’été 1914 et quelques beaux articles sur Junger et Raspail.
La mort du journal était annoncée. En 1965 il tirait à plus de 100 000 exemplaires. En 2000 la diffusion était encore de 50 000 exemplaires, mais elle s’était effondrée à 27 000 en 2009, dont 10 000 abonnés en moins entre 2000 et 2002, suite au passage de Gonzague Saint-Bris à la direction de la publication. Comme quoi, on peut-être un grand auteur et un piètre journaliste. Or, en-dessous de 30 000 abonnés le journal perdait de l’argent. Le titre représentant en 2009 30% du capital du groupe Valmonde, sa faiblesse ne laissait pas d’inquiéter pour l’équilibre même du groupe, soutenu par les deniers d’Olivier Dassault. Mais 2012 et l’arrivée de la majorité socialiste au pouvoir ont eu sur les ventes de Valeurs actuelles un effet de croissance si important que la direction du groupe Valmonde pouvait désormais se permettre de tout miser sur son titre phare et de laisser tomber le canard boiteux déficitaire sans trop de risques. Pourtant, depuis 2012 également, le journal regagnait des lecteurs, mais pas assez pour repasser la barre fatidique des 30 000. Cette insuffisance lui fut fatale.
Le critère de rentabilité serait une justification à lui seul si on ne remarquait une nonchalance coupable de la part de Valmonde vis-à-vis de sa publication mensuelle la plus prestigieuse et la plus ancienne. La communication de Spectacle du Monde est, depuis des années, d’une cruelle indigence. Le site internet, statique et ne proposant qu’un faible contenu, n’attire pas. Les réseaux sociaux, Twitter et Facebook n’ont jamais été exploités. Enfin, les bulletins d’abonnement au magazine n’ont fait leur apparition dans les publications sœurs que tardivement et toujours de manière discrète. Le journal manquait aussi de nouveautés, de ces petits extras qui attirent le client. L’expérience des Hors séries, tentée au début des années 2000 fut abandonnée avec le départ de Michel de Jaeghere, débarqué par Dassault, et qui adapta son idée au Figaro, pour le plus grand bonheur de ses lecteurs. En somme, Spectacle a vécu surtout sur son héritage et sa notoriété propre, sans grand soutien de la part de journalistes des autres publications ou de la direction du groupe le considérant comme une vieille dame contre-révolutionnaire et soporifique. Spectacle était le journal des intellectuels ! Etait-ce si insupportable que cela ?
Quoi qu’il en soit, le mal est fait. La droite française vient de perdre son dernier magazine intellectuel grand public. Les publications pouvant prétendre à un degré supérieur ou équivalent d’intelligence sont réservées à une élite bien plus restreinte. La masse du peuple de droite est orpheline de l’intelligence.
La droite la plus bête d’Europe ? Si on voulait le faire exprès, il ne faudrait pas s’y prendre autrement.
> Gabriel Privat anime un blog.
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